28 Juin 2016

Coopération, une ambition mondiale

Les correspondants du CNES à l’étranger pour s’informer, disposent de lieux et de liens officiels. Cependant, en dehors des circuits officiels, il existe de multiples manières de recueillir l’information ou simplement de la confirmer, de la préciser.

Ces manières relèvent de la personnalité du conseiller mais aussi des habitudes sociologiques propres à chaque pays. Les correspondants du CNES à l’étranger pour s’informer, disposent de lieux et de liens officiels.
Ainsi pour exercer au mieux sa fonction, chaque conseiller a-t-il intérêt à connaître les bonnes personnes, les bons circuits de l’information, "là où les choses sont dites". Et ces circuits relèvent de l’ADN de chaque pays.

L’importance du café

Au sein des institutions européennes (Commission européenne, Parlement européen, Conseil de l’UE), la majorité des informations utiles émanent de contacts informels. Elles sont au service d’un cadre officiel rigide, fait de discours formatés, résultat d’un long processus ministériel. La franchise qui préside dans le cadre informel joue un rôle capital dans la détermination d’une position.

Les cafés sont les premiers lieux de ces échanges : "Soit on se donne rendez-vous, soit on se croise dans la rue et on prolonge la discussion autour d’un café" explique Christophe Venet, Conseiller pour les affaires spatiales à la Représentation Permanente de la France auprès de l’Union européenne. Autre lieu propice aux conversations à bâtons rompus, les couloirs des bâtiments. "On rencontre, on traîne, on passe une tête, et c’est ainsi que l’on construit des relations utiles à l’information" témoigne le conseiller du CNES.

Quelles informations peut-on obtenir par ces voies secondaires ? Des documents encore non-officiels mais aussi de l’impalpable, les initiatives en préparation, la température sur certains sujets. "On ne découvre pas l’information, mais ces avis, ces estimations, nous permettent d’anticiper. On construit une majorité ou une minorité de blocage, on évalue les positions clés, les forces alliées. On établit des compromis, voire un consensus avant la réunion officielle. Les alliances sont à géométrie variable, au gré des sujets. Tout le monde se prête à ce jeu car on y gagne un temps considérable" explique Christophe Venet.

Christophe Venet - Bruxelles
Conseiller pour les Affaires spatiales
Représentation Permanente de la France auprès de l'UE

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Christophe Venet.
Crédits CNES.

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Drapeau de l'UE.

"The Foreigner has arrived"

"Les Indiens ne connaissant pas le stress, vivent très mal la multiplication de nos demandes, toujours plus urgentes les unes que les autres… Il serait parfaitement inutile de les assaillir de questions ou de multiplier les requêtes. L’attitude gagnante consiste donc à largement anticiper et à cultiver les bons flux afin que, le moment venu, la réponse soit à portée de main. Et seul un long travail d’approche, qui passe par la démonstration de son admiration pour le pays, de sa compréhension de son art de vivre, de son intérêt très sincère pour ses interlocuteurs, permet de gagner ses correspondants à sa cause".  Mathieu Weiss, représentant du CNES en Inde depuis trois ans, résume ainsi ses observations. Une fois la relation de confiance établie, les informations peuvent arriver spontanément.
 
Mais quels sont les lieux propices aux échanges ? Dans un pays où l’on ne boit pratiquement que de l’eau, où l’on ne s’expose pas au soleil, où les quelques lieux de rencontre ferment en milieu de soirée, on ne peut compter ni sur les petits bistros, ni sur les terrasses ensoleillées ou les bars en soirée pour échanger. Dans ces conditions, des relations plus personnelles peuvent-elles être  établies ? "S’il est essentiel d’aller voir régulièrement ses interlocuteurs, il ne faut cependant pas s’attendre à être invité chez eux. Il est très rare qu’un Indien s’ouvre au point de vous inviter et beaucoup refusent de répondre à votre invitation, par pudeur" explique Mathieu Weiss.

Un comportement qui relève d’une attitude générale vis-à-vis de l’étranger. "Quand je rends visite à mes collègues indiens à l’ISRO*, je dois laisser mes affaires personnelles (ordinateur, téléphone, clés USB) dans la voiture et l’officier de garde annonce The Foreigner has arrived alors qu’il me connaît depuis des années. Il n’y a là aucune animosité, plutôt une distinction... Quoi qu’on fasse, on restera toujours cet autre, un statut d’ailleurs lié à des égards particuliers" constate le correspondant du CNES à Bangalore. Et Mathieu Weiss décrit ainsi une réception : "Les discussions ont lieu entre 20h et 23h, debout, autour d’un jus de fruit, voire d’une bière. Au terme de ce temps très long, traditionnellement dédié aux échanges, le dîner, assis, expédié en une demi-heure et sans plus se parler, clôt la soirée."
 
Pour être la courroie de transmission entre ces deux mondes, il faut savoir éloigner l’urgence, ne pas oppresser son interlocuteur, jouer en permanence avec le temps. Cette mise à distance de la pression s’accompagne d’une vision à court terme des échéances. Et si on s’inscrit dans ce rythme dénué d’anxiété, l’efficacité est à la clé.  "Les Indiens viennent de lancer avec succès le prototype de leur future navette spatiale, une réussite sur tous les plans, mais avec une philosophie de la vie, une souplesse par rapport à l’avenir dont on peut sans doute tirer un enseignement" conclut Mathieu Weiss. Car "Si les choses ne se font pas dans cette vie, elles se feront dans la prochaine… ".

* Isro : Agence spatiale indienne

Mathieu Weiss
Conseiller spatial auprès de l’ambassade de France à Bangalore, Inde
Représentant du CNES en Inde

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Mathieu Weiss.
Crédits CNES.

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Logo de l'ISRO.

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Drapeau Indien.

Glaner, collecter

Après la chute du communisme, la société russe a connu une période d’ouverture extrêmement faste, particulièrement marquée dans le domaine spatial. Les entreprises, Roscosmos (l’agence spatiale russe) ouvraient leurs portes avec une facilité inconnue jusque-là. Cette page semble tournée et il est aujourd’hui quasiment impossible pour une entreprise française de visiter une société russe si une coopération ne les lie. Elisabeth Moussine-Pouchkine en a fait l’expérience récemment, où une mission initiée par le Gifas* s’est vu refuser l’accès à des entreprises travaillant sur le lanceur Soyouz et sur des satellites.

Comme en Inde, cafés, restaurants, soirées intimes sont absents de la vie sociale. Un café fait exception, celui situé à proximité de Roscosmos. Mais inutile d’espérer entrer dans l’agence si la demande n’en a pas été faite trois semaines auparavant.

Veille scientifique et technique

Dans ce contexte, seule la presse offre une source d’information. Le domaine spatial y est couvert largement et l’intégralité des journaux se trouve sur Internet. Les articles sont nourris, très longs et nécessitent un dépouillement chronophage. Pour être pertinente, cette lecture doit faire l’objet de recoupements et fournit la matière à la Lettre du bureau du CNES à Moscou. De même, une publication intitulée Novostikosmonavticki (Nouvelles de la cosmonautique), qui couvre l’ensemble des pays coopérant avec la Russie, constitue une précieuse source d’information. Par ailleurs, le site de Roscosmos apporte une multitude d’informations non négligeables. Autre lieu de collecte d’informations, les colloques mais aussi les contacts avec le bureau de l’ESA de Moscou, ainsi que le représentant de la NASA qu’Elisabeth Moussine Pouchkine rencontre régulièrement. A ne pas négliger, quelques contacts personnels auxquels il convient de recourir avec tact. Enfin, il importe de méditer cette réflexion de la correspondante du CNES :

"les Russes sont de grands joueurs d’échec : ne jamais prendre le premier coup pour argent comptant".

* Gifas : groupement des industriels français de l’aéronautique et de l’espace

Elisabeth Moussine-Pouchkine
Conseillère pour les affaires spatiales, représentante du CNES en Russie

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Elisabeth Moussine-Pouchkine.
Crédits : CNES.

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Logo de Roscosmos.

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Drapeau de la Fédération de Russie.

L’Asie, une zone contrastée

Pierre-Henri Pisani, conseiller spatial à l’ambassade de France au Japon, couvre non seulement le Japon mais aussi la Corée et l’ensemble des pays de l’Asean (Association of Southeast Asian Nations) incluant des pays aux cultures variées comme le Vietnam, la Malaisie, l’Indonésie…. La diversité des cultures se retrouvant dans les modes de communication.

Pour rendre son information accessible aux occidentaux, le Japon a entrepris un important effort de traduction, en anglais, décrivant son programme. Cet effort s’accompagne d’une réelle volonté de transparence, les organigrammes étant, par exemple, déployés jusqu’à un niveau relativement détaillé de la hiérarchie.
Parmi les acteurs détenteurs d’information, la JAXA (agence spatiale japonaise) ne représente que 47% du budget spatial. Dans ce paysage, Service du premier ministre, autres ministères et instances de recherche reçoivent plus de 50% du budget. Et s’il est difficile d’obtenir des informations du secteur industriel, les universités constituent un espace d’ouverture particulièrement actif et une source d’information abondante.

Sur le plan culturel, le Japon est confronté à un paradoxe. S’il a fait de la continuité son principe éternel, tous les deux ou trois ans, les agents du secteur public changent de fonction. Mais n’allons pas croire que ces ruptures portent préjudice aux liens qui se tissent. "Parfois, les échanges sont bien plus fructueux avec le correspondant parti. Le lien perdure au-delà de la fonction et la parole devient plus libre", explique Pierre-Henri Pisani.

Comme en Russie et dans d’autres pays, le réseau des partenaires spatiaux occidentaux s’avère un moyen non négligeable de vérifier, diffuser ou recueillir certaines informations.

Si pour un Japonais dire non à un interlocuteur est quasi impossible, un Coréen n’hésitera pas à faire connaître clairement sa position, ce qui ne saurait nuire à la prise de décision. Un trait commun à l’ensemble de la région est la notion du temps, différente de la nôtre, et où la prise de décision, sans remise en cause, est partagée par l’ensemble du corps social.

Pierre-Henri Pisani
Conseiller spatial près l’ambassade de France au Japon

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Pierre-Henri Pisani.
Crédits : CNES.

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Logo de la JAXA.

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Drapeau du Japon.

Faire feu de tout bois

Le positionnement de Jean-François Dupuis, Conseiller spatial près l’ambassade de France en Allemagne, n’est pas sans conséquences sur la diversité de ses interlocuteurs. Représentants de l’Etat, scientifiques, industriels, intellectuels… un réseau constitué d’une variété de profils que la durée de la fonction, et donc l’expérience, permettent de tisser et d’entretenir. Seul le temps instaure la confiance, et seule la confiance génère des échanges de qualité.  "L’Allemagne est un pays où les débats sont naturels. Une relation de confiance se construit au quotidien, et lorsque la relation grandit, la coopération y gagne", témoigne le Conseiller spatial.

En Allemagne, il importe de bien comprendre que le niveau fédéral compte souvent plus que le niveau  national. Ce sont les Länder qui financent le Bund et non l’inverse. 80% des décisions de l’Allemagne sont de la responsabilité des Länder. Le travail doit aussi se faire au sein des Länder. L’Allemagne est une vraie démocratie parlementaire et travailler avec le Bundesrat (Conseil fédéral)  est aussi important que rencontrer régulièrement des parlementaires du Bundestag (Parlement national). "A partir de là, il faut faire feu de tout bois. Tout contact est capital y compris celui qui semble éloigné du spatial mais qui, indirectement, peut influer sur les questions spatiales. Il faut bouger, fréquenter tous les lieux qui permettent des échanges, colloques, think tanks, conférences, assemblées… Je vais où il faut. Il est aussi appréciable de savoir saisir une occasion, voire de la provoquer. Le comportement est déterminant. Il faut être ouvert à tout", résume Jean-François Dupuis. Simplement.

Jean-François Dupuis
Conseiller spatial près de l’ambassade de France en Allemagne

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Jean-François Dupuis.
Crédits : CNES.

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Drapeau de l'Allemagne.